La collecte des messages sur les attentats de janvier 2015 : 10 ans après
Le 03/01/2025 ActuMETIERS
Une fois passé le choc des attentats et de leurs terribles conséquences, nous observons des mémoriaux s'ériger dans les villes, et notamment à Rennes. Après la manifestation d'union nationale du 11 janvier, le cortège s'est arrêté devant la niche de l'hôtel de ville, place de la Mairie, où les premières bougies, les premiers messages ont été déposés.
Des personnes ont ressenti le besoin de manifester leurs sentiments (tristesse, colère, etc.) sur un lieu public mais aussi leurs opinions ou leurs analyses. Peu à peu, un assemblage de messages se constitue dans la niche de l'hôtel de ville, avec le souci d'en ordonner les éléments. Des unes de Charlie Hebdo sont suspendues sur des fils de part et d'autre de la niche. Au fil des passages, d'autres messages trouvent leur place, en réordonnant au besoin soigneusement ceux qui étaient déjà présents. Une atmosphère de recueillement entoure ce mémorial éphémère.
L'idée de collecter ces messages ainsi disposés dans l'espace public n'allait pas de soi. C'est le Club de la presse de Rennes et de Bretagne qui en a eu l'idée et qui l'a suggérée à la maire. Les Archives, sollicitées, ont vu l'intérêt de saisir et conserver cette expression citoyenne.
Le contexte politique était tendu et l'attachement des Rennais au mémorial était fort, c'est pourquoi seule la maire pouvait décider de la collecte. La date fut arrêtée au 14 janvier, ce qui laissait aux Archives les 12 et 13 janvier pour l'organiser. Afin de procéder en douceur, la collecte fut précédée d'une cérémonie qui eut lieu à 18 heures, près de la niche. La maire, entourée de représentants de chacun des groupes siégeant au conseil municipal, a rendu hommage aux victimes et évoqué le sort des messages. Elle a rapidement évoqué l’importance d’en garder la trace, en expliquant que, pour des raisons de conservation, les messages ne pouvaient pas rester exposés aux intempéries, car ils risquaient de se dégrader davantage, voire de disparaître. Ces messages auraient une autre vie et resteraient accessibles au public. Puis la collecte a commencé. Rompant le silence, des journalistes nous questionnaient. Des passants aussi s'interrogeaient sur le sens de notre action, certains s'indignaient de la destruction du mémorial. Des personnes du cabinet de la maire expliquaient et rassuraient.
Moins de trois jours après cette collecte, d'autres panneaux ont été fixés dans la niche : "Qui a fait ça ? Qui a enlevé nos bougies ? Qui a enlevé nos crayons ? Qui a balayé notre colère ? Qui a masqué nos larmes ? Rendez-nous ce que nous avons déposé ici !", montrant la charge sensible et l'attachement au symbole de ce mémorial.
La collecte a eu lieu trois jours après l'érection du mémorial, la pluie a dégradé une partie des messages mais beaucoup ont pu être collectés. La plupart des supports étaient détrempés (l'encre était délavée), salis, déchirés ou brûlés par des bougies. Nous avons ramassé de manière exhaustive tous les messages qui étaient encore lisibles, même en partie, et prélevé les objets qui portaient des inscriptions et échantillonné d'autres objets qui ne portaient pas d'inscriptions pour leur valeur symbolique (crayons, bougies, etc.).
Une fois aux Archives, la première étape de conservation fut le séchage, car l'eau et les saletés combinées pouvaient entraîner le développement de moisissures. Cette étape a duré trois mois. Les messages étaient retournés tous les jours le premier mois, des buvards ont aidé à absorber l'humidité. Un deuxième tri a été effectué : quand les messages n'étaient plus du tout lisibles, ils ont été détruits. Ceux qui ont été conservés ont fait l'objet d'un nettoyage et d'une restauration dans certains cas. La restauration a volontairement été limitée à restituer la lisibilité des documents, quand c'était possible.
Une fois que les mesures de conservation ont permis d'améliorer et de stabiliser l'état matériel des documents, l'étape du classement a pu commencer. Ce corpus documentaire représente au total 665 documents et objets, soit 566 messages (quasiment intégralement gardés), 67 journaux et 32 objets, sans compter de nombreux stylos et crayons, dont un quart a été conservé. Les documents ont été regroupés par thèmes. Le slogan "Je suis Charlie", créé par Joachim Roncin, utilisé tel quel ou décliné, représente plus du tiers de l'ensemble des messages. Les autres thèmes sont la liberté, et notamment la liberté d'expression, un appel à la tolérance, à la paix, à la solidarité. Les messages en hommage aux victimes et à leurs familles constituent une autre partie. Quand ces messages comportaient plusieurs thématiques, c'est la dominante qui a été retenue pour le classement. Deux rubriques achèvent ce corpus documentaire : les journaux, principalement représentés par Charlie Hebdo et ses unes, et les objets (bougies, porte-photo, crayons, etc.).
Les messages et objets ont été numérisés et sont en ligne sur notre site (2250 W). Des chercheurs s'y sont déjà intéressés. La mise en ligne récente des messages vise à faciliter leur accès pour toute personne qui s'y intéresserait : citoyens, journalistes, chercheurs. Ce versement n'attend plus que vous !
[A écouter] Podcast de l'émission du 07/01/25 sur Ici Armorique.
[A regarder] Reportage de TV Rennes du 09/01/25.
[A lire] Article de "20 Minutes" du 11/01/25.